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Affectus mortis - Joan-Ives Casanova. Essai sur le sentiment de la mort et sa relation à la littérature. Limbs II. Éditions La Pantiera.
Type | Paperback |
Year | 2016 |
Language | occitan (provence) |
Pages | 64 |
Format | 10,8 x 17,5 cm |
Distributor | La Pantiera |
ISBN | 978-1-326-59187-8 |
Affectus mortis - Joan-Ives Casanova
Essai sur le sentiment de la mort et sa relation à la littérature.
Editions La Pantiera.
En Corse – je ne sais pas si c’était en Corse, car j’en ai vu également en Provence, sur les places des villages ou dans les collines, comme plus tard en Lozère, grands en majesté, abandonnés, mais il me semble que les premiers que j’ai vus étaient en Corse, ce sont ceux qui m’ont marqué, quoi qu’il en soit la mémoire les différencie en fonction de toute autre chose, principalement le fait qu’il faut que la Corse soit liée en moi à l’image de la mort, cette pensée déterminée par la mort de ma grand-mère qui a éloigné d’une façon définitive les rivages de l’île, la mémoire devenant une chandelle de plus quand elle se fait littérature –, en Corse donc, j’ai pris l’habitude de voir le Christ rouillé, pourri, déjà délaissé sans que plus personne ne vienne déposer des bouquets de fleurs, un Christ solitaire qui s’est gravé dans mon esprit, jusqu’à ce que cette image s’impose dans les premières lignes d’un récit qui se déroule en Provence, L’Enfuie – mais le Christ, lui, était bel et bien en Corse – ; je me dis toujours que ce Fils a tant souffert, même si mon père m’affirmait qu’il n’avait pas existé, que ce n’était que des légendes afin de tromper les gens, et il avait tant souffert, car les trous à ses mains et à ses pieds devaient être insupportables, au-delà de la douleur, et ma mère, à qui je pouvais poser la question et qui me répondait tout en me disant qu’il ne fallait pas poser ces questions qui ne plaisaient pas à mon père, ma mère me chuchotait qu’il n’était pas mort, mais presque, sur le point de mourir et qu’il était le symbole et l’image de la souffrance, des erreurs et des méchancetés des hommes, et un homme mort ou quasi mort n’est jamais beau à voir étant donné que nous avons le temps de mourir, mais nous ne souffrirons pas comme lui, ce Christ dont je pensais qu’on était sans pitié de le laisser ainsi seul sur sa Croix, personne ne venait l’aider, et, parfois, sans que mon père ne nous voie, ma mère et moi posions des fleurs jaunes et sèches – ma grand-mère les nommait a marella –, ma grand-mère qui souvent nous accompagnait se signait en passant devant la Croix et je ne comprenais pas pourquoi mon père ne lui disait rien, et il m’expliquait après que ces choses-là étaient bonnes pour de vieilles gens, mais pas pour un jeune garçon qui allait à l’école, et j’ai su un jour que c’était des immortelles, un nom bien indiqué afin de pouvoir contempler la mort et s’y affronter, s’en approcher et l’apprivoiser, pour en faire sa compagne étant donné que le Christ a été ici crucifié pour l’éternité, délaissé pourtant dans le temps farouche. La mort m’étonnait, surtout la souffrance du Christ, le temps qui a été le sien avant de mourir, sur le point de mourir, car il était presque éternel sur cette Croix, de telle façon que j’ai su assez tôt que nous n’achevons pas de mourir, car à un moment donné le temps se tranche, s’arrête, se tend et s’écrase tant qu’une minute devient l’éternité, et il y a ici, dans ce monde et autre part, des milliers de gens qui sont sur le point de mourir, et moi aussi, comme le Christ et tous les autres, quand je serai aux lisières de la mort et que le temps s’effondrera subitement, je me retrouverai dans une sorte d’éternité où je pourrai saisir et dévider à l’infini les images les plus entêtantes de ma vie ; et cet achèvement qui n’en est jamais un, celui du Christ, je le pensais et je le pense toujours solitaire, quoi qu’on en dise, nécessairement solitaire, de cette solitude originelle que l’on trouve peu dans une vie, une solitude essentielle et bienheureuse à laquelle, bon gré mal gré, nous sommes destinés et qui m’a conforté dans l’idée que celle du Christ est la mienne et qu’il n’existe aucune église pour la définir, aucun rassemblement, il s’agit seulement de la haute solitude devant la mort et l’effroi des êtres, de ce Christ rouillé et moi, moi et ce Christ rouillé, et nous nous savons meurtris, meurtris, mais si heureux de le savoir étant donné que, justement, nous pouvons le dire.
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