Putan de cançon - Moussu T e lei Jovents

Putan de Cançon - Moussu T e lei Jovents

Putan de Cançon est le quatrième album du groupe occitano-brésilien de La Ciotat. Dans les faubourgs de Tom Waits, quelque part dans les paysages du blues moderne, Moussu T e lei jovents fait sonner toute sa gouaille méditerranéenne dans un environnement sonore pluriculturel. Au travers de breaks instrumentaux soignés et d'un son rugueux, plus rock, "Putan de Cançon" marque un tournant dans l'évolution du groupe. Blu par la richesse et la diversité de ses interventions, s'affirme ainsi comme l'égal d'un Marc Ribot ou d'un Zoot Horn Rollo.
Certes, on retrouve dans « Lo Dintre » la nonchalance des rythmes de Recife et la patte du percussionniste Jam Da Silva. Dans les ritournelles « Bons baisers de Marseille », « comme deux mouches » « mon ouragan » et « Quand je la vois, je fonds » c'est toute la décontraction de Tatou, sa légèreté familière et la douce évidence des mélodies que l'on savoure comme une première gorgée de pastis un soir d'été : délicieusement fraîche. Toutefois, se cachent aussi au travers de textes plus sombres, la nostalgie, l'amertume et parfois la tristesse désabusée face à l'usure du temps : on ne parle plus de « guimbardes » quand il s'agit d'auto (« Alba7 ») et de se lamenter calmement « on ne prend plus le temps d'offrir, d'aider, d'entendre, de croire, de jouer » (« L'horloge »).
« Putan de cançon », putain de chanson est au final un appel à la résistance engagée et festive : Moussu T e lei jovents chantent avant tout l'espoir, l'envie, la force, l'enthousiasme, le plaisir et l'amour. A les écouter, nul doute « ça te rend souple et bouléguant ».

C'est avec cette Putan de Cançon que Moussu T & "Sei" Jovents ouvrent leur quatrième opus tout d'ocre paré. Chantée en occitan (traduction disponible dans le livret), cette cançon rend hommage à un genre que le chanteur, troubadour moderne, songwriter du delta du Rhône, usine depuis plus de 25 ans à la manière d'un artisan. Car ici, pas de travail à la chaîne, pas de moule ni de série, juste des pièces uniques ciselés à la main par ce Ciotadin amoureux fou de la vie, et ses amis musiciens (Blu, Jamilson, Zerbino, Deli K).

Qu'il parle de lui (Empêche moi), des ses travers (Dins la Nuech de mon Astre), de sa douce (mon Ouragan et Quand je la vois, je fonds) ou de son goût pour ces verres qui rendent « souple et bouléguant » (Comme 2 Mouches), Moussu T s'adresse au plus grand nombre. Il n'est pas de la génération chanteur geignard aux lyrics nombrilistes en vogue aujourd'hui. Qu'il regarde passer le temps parfois trop vite (L'Horloge, Alba 7) ou qu'il abandonne le monde à son ronronnement (lo d'Intre) « laissant sa barque sur la rive sans aucun regard pour l'horizon lointain », le co-fondateur du Massilia Sound-System ne s'impose pas en héraut du c'était mieux hier. Et quand son regard s'arrête sur sa ville (Ciutat de l'Ersa) et sur les traces de son passé industriel (La Marraine), il s'y pose avec toujours avec une extrême délicatesse, une finesse de trait qui donnent plus de force encore par son contraste, à ce titre à faire hurler les oreilles chastes.

Lui qui a imposé ses marques, son format au sein du Massilia et sur ses albums solos, plutôt que de répéter, n'a de cesse de défricher. Bien sûr, le banjo est toujours là. Mais son blues provençal voit large. Ecoutez s'étirer le son de la guitare de Blu sur Seradas de la Mar. Savourez les accents samba légers de ses bons baisers de Marseille et vous comprendrez que les suiveurs sur la linha Imaginòt ou plus au Nord, n'ont qu'à bien se tenir. Moussu T et sei Jovents sont loin devant avec ce putan d'album.

Paru le 23 septembre 2010.

Label: Le Chant du Monde

Titres:

1. Putan de cançon
2. Empêche-moi
3. Lo dintre
4. Mon ouragan
5. Ciudad de l?ersa
6. Alba 7
7. Bons baisers de marseille Écouter
8. La marraine
9. Quand je la vois, je fonds
10. L?horloge
11. Dins la nuech de mon astre
12. Seradas de la mar
13. Comme 2 mouches

Article de presse:

Le groupe Ciotaden (et un peu Brésilien aussi) polymérise diverses influences musicales pour réussir un album proprement provençal, cent pour cent professionnel et complètement de son époque. Une jolie capitada.
Nous l'attendions depuis l'hiver dernier cette «Putan de cançon», avions assisté aux enregistrements et à une partie du mixage, et maintenant qu'il est là nous pouvons dire que l'album tient ses promesses. Il réalise à nouveau avec bonheur — c'est la quatrième fois — l'union d'une musique marseillaise qui ranime l'esprit de Scotto, d'un chant engagé socialement, et de rythmes tirés du folklore americain, qu'il s'agisse du blues ou de la musique brésilienne du Pernambouc. Folklore devant être entendu comme «science du peuple», on comprendra que qualifier ainsi la musique de Moussu T. inclut le flot d'innovations, de trouvailles et d'astuces qu'ajoute à ces bons fonds l'inventivité des membres du groupe.

Mescladissa réussie d'influences musicales diverses
Il faut aller, pour profiter le plus pleinement de cet état d'esprit, farfouiller dans le quatrième morceau de «Putan de cançon». Lo Dintre, une des cinq chansons en occitan de l'album, ajoute sur un rythme à l'évidence tiré de la musique traditionnelle brésilienne, des solos de guitare qui doivent beaucoup à un certain blues, plutôt entendu sur la côte ouest des USA Et avec tout cela on doit souligner à quel point les paroles disent tout à fait le contraire de ce que dit l'esprit de fusion de cette musique : «encuei laissarai mei viatges sus l'arena» ; Tatou décide là de s'enraciner et de ne s'occuper strictement que de son jardin personnel, pendant. que les rythmes disent des choix contraires en piochant intelligemment dans ce qui nous vient quasi des antipodes.
«Alba» renouvelle ce mariage heureux de musiques d'origines différentes, alors que « Bons baisers de Marseille » cuisine à nouveau cette sauce aux diverses épices pour chanter la ville ôccitane, port-ville qui reçoit le monde entier, à l'attention d'un exilé qu'on regrette. «Tu mènes une vie de chien / Faut s'exiler, c'est devenu la règle» dit la chanson. Mais ce qui a été quitté, c'est justement un pays dont le plus marquant de la culture reste l'ouverture et la diversité.

Tatou, François Ridel pour l'état civil, nous l'avait dit, deux opus en arrière, à la sortie de «Forever Polida», il dispose d'une boîte à outils mentale. Il pioche dedans pour dire au mieux l'amour, l'amitié, la solidarité, le temps qui passe, le départ, la séparation, le renversement des valeurs, et l'esprit collectif d'un monde ouvrier en voie de désintégration. L'occitan là dedans dira le plus intime. Plus de jeux de mots alors, mais l'introspection : «De l'autre costat de ieu / Dins la nuech de mon astre».

Un univers sonore particulier
Que serait-cet univers sans la couleur particulière que donnent au tableau les cordes de Blu ? guitariste, banjo, électrique ou pas, le plus taciturne des deux musiciens venus du Massilia Sound Systèm est un architecte ; il faut entendre comment il bâtit l'univers sonore de ce même morceau «Dins la nuech de mon astre», pour comprendre à quel niveau la poésie peut- être portée par une simple guitare sèche.
On connaît les participations de percussionnistes dans la musique de Moussu T., y mettant une note de jazz («Seradas de la mar») ou inspirant ici de la joie, là de l'inquiétude. Jam Da Silva le Brésilien, Zerbino le Corse, et Le Déli K le Martégal font beaucoup pour la tenue de «Putan de cançon».

Et pendant ce temps dans la cuisine sonore...
Mais ce beau paysage, ici torturé, là fluide, qu'est le quatrième album de Moussu T. e Lei Jovents, ne serait pas éclairé de la même façon, sans l'intervention du personnage le moins exposé de cette aventure, l'ingénieur du son Lionel Delannoy. A coup d'heures passées à la table de mixage, de silences prolongés et de tentatives secrètes, ce jeune Bocuse des harmonies donne une fois encore à l'album du groupe ciotadenle tour de spatule particulier qui lui assurera peut-être une bonne place au rayon des disquaires, et sûrement une place durable dans l'histoire de la musique.
Article de Michel Neumuller, paru dans Aqui d'aqui de septembre 2010.